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  • MARIE-CHRISTINE HORN : 24 HEURES. COMME UNE MECANIQUE BIEN HUILEE.

    bsn press,collection uppercut,24 heures,marie-christine hornDans le domaine de la littérature noire helvétique, on appréciera la cohérence de la maison d’édition BSN Press qui est parvenue à mettre en avant des auteurs d’horizons très variés intégrant de manière plus ou moins marquée quelques notions du roman noir, voire même du roman policier en y incorporant une dimension sociale. Dès lors, dans le cadre de sa collection Uppercut, abordant la thématique du sport sous la forme d’opuscules percutants, il n’est guère étonnant de retrouver Marie-Christine Horn qui signe son retour avec 24 Heures, un bref roman à suspense évoquant le milieu de la compétition automobile en rendant ainsi un hommage détourné à son père qui fut pilote de course.

     

    Dans la vie de Hugo Walter tout est question de compétition, de trajectoire et de timing pour cet ancien coureur de F3 qui a remporté tous les championnats. Mais les défaites ont également marqué cet homme qui a dû surmonter la terrible épreuve de la perte de sa femme Line au terme d’un long combat contre la maladie. Il ne lui reste plus que sa fille Marion qui ne donne plus signe de vie après une soirée passée avec sa meilleure amie. Une disparition inquiétante qui résonne comme une course contre la montre, contre la mort. Le chronomètre est enclenché et Hugo se lance dans la compétition la plus importante de son existence. Celle qu’il ne peut pas perdre.

     

    Avec Marie-Christine Horn, la notion du bien et du mal ne saurait se répartir sur un simple mode binaire et c’est bien cette ambivalence des personnages qui confère à l’ensemble du récit une espèce d’imprévisibilité où tout peut basculer au détour d’une quête haletante. Cette ambivalence on la perçoit également au niveau de la temporalité de l’intrigue qui s’étend sur 24 Heures tout en permettant de découvrir au gré d’analepses subtiles et savamment maîtrisées les parcours de vie de Hugo Walter et de son entourage en mettant ainsi en place tous les éléments du puzzle qui nous permettra de comprendre les tenants et aboutissants de la disparition de sa fille Marion. Mais au-delà d’un récit bien réglé, aux allures de thriller qui se déroule dans la torpeur d’un paysage hivernal, il faut s’attarder à la périphérie du roman pour en apprécier l’atmosphère et les tensions qui en émergent.

     

    C’est bien évidemment l’ambiance de ces courses de côte que Marie-Christine Horn restitue parfaitement avec 24 Heures tout en implémentant quelques réflexions au travers du personnage de Line, cette femme au caractère fort qui doit se positionner dans un univers sportif plutôt viril. Mais bien au-delà de ces apparences de femme forte et d’homme déterminé, on décèle également par le prisme de l’intimité du couple que forme Line et Hugo une certaine forme d’émotion et de vulnérabilité qui transparaît notamment dans leur volonté d’avoir un enfant à n’importe quel prix.

     

    La thématique du sport, et notamment l’esprit de compétition qui en découle, devient ainsi l’enjeu de ce récit trépident où Marie-Christine Horn s’emploie à décortiquer les pressions sociales pouvant s’exercer sur un couple qui ne saurait se résigner à accepter une quelconque défaite, ceci bien au-delà des joutes sportives. En partant de ce principe, 24 Heures distille, avec cette tonalité mordante propre à la romancière, toute l’ambiguïté de la victoire à tout prix dont on découvrira la mise en abîme au terme d’un épilogue singulier à l’impact cinglant. 

     

     Marie-Christine Horn : 24 Heures. BSN Press/Collection Uppercut 2018.

    A lire en écoutant : Blue Rondo a la Turk de Dave Brubeck. Album : Time Out.  Colombia Records 1959.

  • Mise au point 2017. Polar suisse : Je ne vous aime pas non plus.

    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresBilans, retrospectives et projets à venir, voici également venu le temps des classements afin d’aborder sereinement la nouvelle année 2018. Parce qu'il est toujours bien trop difficile de choisir parmi tous les ouvrages que j'ai chroniqués durant l'année, j'ai renoncé depuis longtemps à me soumettre à l'exercice. Et en ce qui concerne les statistiques, Mon Roman ? Noir et Bien Serré ! est un blog littéraire qui n’a jamais eu pour vocation de délivrer des bilans comptables permettant d’affirmer sa propre importance au sein de l’immensité de cette toile numérique. Ainsi, n’utilisant aucun outil d’analyse numérique et ne consultant jamais les données émises par les réseaux sociaux, je suis bien incapable de vous fournir le nombre de visiteurs ou autres éléments « pertinents » quant à la consultation des différentes recensions dont j’ignore la quantité pour l’année 2017. Mais après bientôt 7 ans d’activité à passer en revue la littérature noire, il importe de souligner que la motivation, même si elle n’est pas quantifiable, demeure toujours intacte.

     

    Cette désinvolture quant à la fréquentation et aux statistiques du blog, je la dois probablement au fait qu’en étant hébergé sur le site du journal de la Tribune de Genève je bénéficie d’une certaine visibilité qui ne cessera de m’étonner lorsque l’on m’aborde parfois dans les librairies que je fréquente pour commenter quelques critiques ou évoquer quelques ouvrages. J’en profite pour remercier la rédaction du journal et notamment Jean-François Mabut, qui prend la peine de publier régulièrement dans la version papier quelques extraits de mes chroniques.

     

    Puisque l’on est à l’heure des remerciements, il convient de citer quelques passeurs de livres, passionnés qui m’ont permis de faire de belles découvertes tout au long de ces années. Giuseppe Merrone (BSN Press), Pierre Fourniaud (La Manufacture de Livres) et Sebastien Wespiser (Agullo éditions) pour les éditeurs indépendants qui font un travail extraordinaire dans le domaine de l’édition. Dans la catégorie des libraires il me faut parler de Stéphanie Berg et Mohamed Benabed de Payot Lausanne et de toute l’équipe de la librairie du Boulevard à Genève en rappelant que vous pouvez également commander vos livres sur leurs sites respectifs tout en bénéficiant de leurs conseils avisés. Une prestation qui n’a pas de prix. Il faut également mentionner quelques sites et quelques blogs que j’ai toujours appréciés à l’instar de Fondu au Noir, Le Vent Sombre, 813 Le Blog, Encore du Noir, Bob Polar, Le Blog du Polar de Velda, The Killer Inside Me, Evadez-moi (un nouveau blog) et Mœurs Noires qui entame une retrospective sur l’œuvre de William McIlvanney. Des blogs dont la liberté de ton et l’esprit critique font figure de références au sein de la littérature noire.

     


    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresEn Suisse romande, l’année 2017 aura été marquée par l’hommage fait à Joseph Incardona récipiendaire de la première édition du prix du polar romand pour son livre Chaleur (Finitude 2016), incarnation du roman noir que j’apprécie et que je défends. Un événement qu’il convient de souligner dans le cadre d’une actualité littéraire romande qui s’est davantage focalisée sur deux auteurs de polars romands dont l’œuvre laisse franchement à désirer comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer à de multiples reprises. Critiques non constructives, jalousie, aigreur, règlements de compte, manque de respect de l’écrivain sacralisé et bien évidemment des lecteurs, j’aurai tout entendu au sujet de ces chroniques qui ont suscité bien des commentaires. Rien d’anormal dans l’ensemble de ces arguments que les écrivains des livres en question ont émis tout comme quelques blogueurs et lecteurs fanatiques ne supportant pas que l’on égratigne leurs idoles. Outre les cris d’orfraie de circonstance, ces chroniques m’ont valu quelques mesquineries et mises à l’écart qui ne m’ont pas échappé en me donnant ainsi une idée du niveau du débat que l’on peut avoir dans un milieu littéraire où l’on cultive l’entre-soi. Mais tout cela n’a pas grande importance, c'est même plutôt de bonne guerre et pour reprendre une réplique d'un réalisateur français s’adressant à ses détracteurs, il faut savoir que « si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus.»

     

    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresPour l’année 2018, le blog va donc poursuivre son petit bonhomme de chemin dans la même tonalité en me réjouissant d’ores et déjà à l’idée de retrouver Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Territori 2014) avec un nouveau roman intitulé Les Mauvaises qui va être publié dans le courant du mois de février 2018 par la Manufacture de Livres, dans la collection Territori et que l’on annonce déjà comme étant un chef-d’œuvre (ce n’est pas moi que le dis). Les nouveautés seront donc bien évidemment à l’ordre du jour, mais je tiens à pousuivre et achever les chroniques concernant les séries de l’inspecteur Sutter et du détective privé Smokey Dalton. Et puis je vais également continuer à explorer cette littérature asiatique qui ne cesse de me surprendre en m’entraînant bien au-delà des genres convenus de la littérature noire.

     

    Il ne me reste qu’à vous souhaiter de passer une très bonne année 2018 avec de belles lectures à venir et à vous remercier pour votre fidélité.

     

    A lire en écoutant : Il Faut Tourner La Page de Claude Nougaro. Album : Nougayork. WEA 1987.

  • Antonio Albanese : Voir Venise Et Vomir. Lagune noire.

    voir venise et vomir,antonio albanese,bsn pressAinsi donc le polar serait un genre sérieux qui ne souffrirait pas les incartades humoristiques sous peine de se voir parfois affubler du titre de pastiche n’ayant rien à voir avec la littérature noire. C’est faire bien peu de cas de tous ces auteurs comme Donald Westlake, Frédéric Dard ou Charles Exbrayat, pour n’en citer que quelques un, dont l’exercice de style à la fois drôle et percutant ne cessera de marquer les amateurs de romans policiers souhaitant évoluer dans un registre un peu différent. Pourtant il semble que ce soit l’une des considérations expliquant le fait que Voir Venise Et Vomir, polar féroce d’Antonio Albanese, n’ait pas été retenu par le jury pour figurer dans la sélection finale des auteur en lice pour le premier prix du polar romand. Difficile de comprendre l’éviction d’un ouvrage dont le style, l’intrigue et ces traits d’esprit incisifs constituent un remarquable récit se démarquant radicalement de la médiocre production de polars helvétiques que les médias romands ne cessent de mettre en avant.

     

    Milliardaire aussi excentrique qu’irrévérencieux, Matteo Di Gennaro dégueule tripes et boyaux dans un canal de la belle Sérénissime où flotte une odeur d’algue pourrie qui n’est pas sans lui rappeler celle émanant du corps de son amant, le beau Fabrizio, qui repose désormais à la morgue après avoir mariné dans les eaux de la lagune. Un instant de faiblesse passager, puisqu’il découvre rapidement que la thèse du suicide est aussi vraisemblable que la légende de saint Georges terrassant le dragon. Bien décidé à débusquer l’enfoiré qui a trucidé son amant, Matteo va rapidement mettre à jour les turpitudes de quelques moines bibliothécaires ainsi que les petites combines d’un taulard séjournant dans l’une des prisons de la Giudecca jouxtant sa propriété tout en assenant ses quatre vérités au lecteur qui n’en demandait pas tant.

     

    Frédéric Dard pour l’humour, Hugo Pratt pour les balades sur la lagune, on ne peut guère s’empêcher de penser également au fameux roman Le Nom De La Rose d’Umberto Eco au gré de ces quelques scènes se déroulant notamment dans la bibliothèque d’un monastère recelant des ouvrages anciens, ceci d’autant plus qu’un des livres devient la clé d’une énigme qui n’épargne guère l’obscurantisme religieux.

     

    Point d’ancrage fondateur du récit, l’eau devient l’élément commun d’une ville qui se désagrège et d’un homme qui se décompose. La beauté s’efface tout comme le souvenir. Matteo Di Gennaro ne peut se résoudre à l’accepter quitte à dégueuler sa colère et sa révolte. Ainsi Voir Venise Et Vomir, brève et fulgurante farce noire nous entraîne dans le sillage d’un narrateur qui s’érige en justicier pourfendeur de la bêtise et de l’ignorance tout en sillonnant avec son motoscafo la région de l’île de la Giudecca dont le nom prédestiné servira de conclusion à ce brillant récit célébrant l’amour dans tous ses genres, bien loin des baisers chastes et des légères caresses édulcorées.

     

    Au moyen d’une écriture vive et acérée, Antonio Albanese adopte un style détonant avec ces diatribes hilarantes que son insolent héros adresse à tout va au lecteur qu’il prend à partie au fil de considérations à la fois acides et arbitraires. Mais au-delà de ces instants cocasses, il faut distinguer avec Voir Venise Et Vomir, un roman érudit qui se distancie de la ville musée qu’est devenue Venise pour nous inviter dans la périphérie d’une envoûtante région qui recèle quelques trésors cachés. Ainsi, loin d’être des digressions, les apartés du narrateur concernant les jardins et l’architecture sont une forme d’hommage que l‘auteur tient à rendre en évoquant la beauté insoupçonnée de ces îles méconnues, tout en s’affranchissant des clichés et des décors maintes fois évoqués au gré des œuvres célébrant Venise.

     

    Trop licencieux, trop amoral et finalement trop immoral, un roman comme Voir Venise Et Vomir ne peut guère susciter l’adhésion de tout un jury mais parviendra à séduire, sans nul doute, le lecteur averti désireux de s’offrir un voyage atypique sur les eaux troubles de la lagune.

     

    Antonio Albanese sera présent lors du festival Lausan'noir qui aura lieu du vendredi 27 octobre au dimanche 29 octobre 2017. Il dédicacera ses romans le samedi 28 octobre de 16h00 à 17h30.

     

    Antonio Albanese : Voir Venise Et Vomir. Editions BSN PRESS 2016.

    A lire en écoutant : The Sky Is Crying de Gary B.B. Coleman. Album : Too Much Week End. Ichiban 1992.

  • BSN PRESS : COLLECTION UPPERCUT. DEBARQUEMENT SUR LES QUAIS.

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    "Et je m'isole

    Je cherche quelque chose

    Qui résonne"

                          Raisonne d'Aston Villa

     

    S’il fallait parler de coup littéraire pour la rentrée romande il conviendrait peut-être d’évoquer la collection Uppercut chez BSN Press qui rassemble au sein de cette nouvelle ligne éditoriale deux grandes figures du polar helvétique que sont Joseph Incardona et Daniel Abimi qui s’essayent au micro-roman en développant des intrigues courtes et percutantes sur la thématique du sport. En éditeur passionné par le noir Giuseppe Merrone a confié les rênes de la collection à Pierre Fankhauser, lui-même auteur, traducteur et animateur sur les scènes littéraires, qui s’ingénie, depuis le mois d’avril, à convier quelques auteurs romands afin de les entraîner dans l’exercice ardu du bref récit à l’impact saisissant. Une démarche qui n’est pas sans rappeler Léman Noir (BSN Press 2012), une anthologie, hélas épuisée, qui réunissait, sous la bannière du roman noir, vingt auteurs de Suisse romande dont certains n’étaient, de loin pas, des familiers du mauvais genre.


    Capture d’écran 2017-09-03 à 05.04.19.pngLes Poings
    de Joseph Incardona c’est l’instrument de travail de Frankie Malone qui souhaite faire son come back sur un ring après avoir raccroché les gants il y a de cela plusieurs années. Tout l’enjeu du récit consiste à savoir si l’on va s’offrir un retour à la Rocky ou s’enfoncer dans une tragédie à la Million Dollar Baby. Mais comme à l’accoutumée, l’auteur nous surprend encore avec ce dénouement déroutant, inspiré d’un événement pugilistique réel. En quelques phrases courtes et bien senties, Joseph Incardona capture les ambiances que ce soit dans les contrées froides du Nebraska ou dans la chaleur étouffante d’un ring à Los Angeles pour nous plonger dans cet univers où la douleur et la peur sont omniprésentes. Il y a les néons des dîners et des clubs de striptease. Il y a l’odeur du camphre et de la sueur dans la salle d’entraînement. Il y a les doutes et les convictions qui oscillent dans le cœur d’un homme qui tente de soulever sa carcasse. Et comme le poids d’un boxeur, l’auteur semble avoir pesé et soupesé chaque mot afin de saisir toute l’intensité d'un parcours chaotique et chancelant. Springsteen et Dylan ne sont pas loin.

    Capture d’écran 2017-09-03 à 05.04.34.pngOn cultive les rêves et les apparences dans Bora Bora Dream, récit à quatre mains d’Emilie Boré et de Daniel Abimi qui interprètent, dans une alternance de chapitres aussi vifs que mordants, cette femme et cet homme qui s’observent dans le reflet trompeur des miroirs d’un fitness. Et si l’on persiste à se mentir, on persiste également à entretenir l’illusion et le paraître tout en distillant les rancœurs et les déceptions qui vous rongent le cœur. Un redoutable cocktail acide, bourré d’humour et d’aigreur avec cette fine observation d’un couple qui se construit sur une succession de déconvenues et des rêves brisés. Un texte incisif et drôle, un peu cruel bien sûr, qui nous renvoie à nos propres illusions.

    Capture d’écran 2017-09-03 à 05.05.50.png
    Sport cérébral avec Les Parricides de Sabine Dormond qui nous entraîne dans l’univers des échecs qui devient le refuge de Vincent ce jeune garçon surdoué, élevé par une mère angoissée basculant doucement dans la folie. L’absence du père, le délitement d’un cadre familial, l’auteure dépeint brillamment le parcours chaotique d’une femme qui a toujours manqué d’assurance, mais qui essaie d’élever du mieux qu’elle peut un enfant qui lui échappe tout en faisant face aux visions qui l’assaillent. On assiste donc à la lutte d’une mère qui tente de renouer une relation avec son fils et au combat que livre un enfant qui joue 40 parties d’échec simultanées. Il y a des batailles qu’il faut remporter impérativement. Un récit poignant.

    Capture d’écran 2017-09-03 à 05.05.27.pngUne piscine municipale le soir après la fermeture, voici le cadre original dans lequel se déroule Eaux Troubles, un thriller de haute volée de Philippe Laffite. Jeune femme vulnérable, Mélanie a toujours fréquenté les bassins jusqu’à ce qu’un accident mette un terme à sa carrière de plongeuse. Mais qu’à cela ne tienne, elle est désormais employée à la piscine et profite du départ de derniers clients pour faire quelques longueurs. Mais est-elle vraiment bien seule ? D’une redoutable efficacité, conjuguée au cadre particulier des lieux, l’auteur diffuse un climat anxiogène tout au long d’un récit brillant qui aborde également la thématique du harcèlement au travail. Un texte dense, ramassé qui s’accroche aux éléments essentiels de l’intrigue en permettant ainsi aux lecteurs de se laisser emporter dans le jeu perfide des apparences pour apprécier un dénouement des plus singulier.

    JCapture d’écran 2017-09-03 à 05.05.06.pngoute épistolaire déclinée au gré de chapitres portant les nom de chacune des phase d’un combat d’escrime, S’escrimer A L’aimer de Laure Hyung Croset dépeint l’évolution d’une délicate et désuète romance qu’entretient une femme passionnée avec un mystérieux correspondant. On assiste à une espèce d’emportement déchaîné où l’héroïne projette tous ses phantasmes et tout ses désirs dans un échange qui semble combler toutes ses attentes. Mais la machine se grippe dès l’instant où son interlocuteur se dérobe dès qu’il s’agit de se rencontrer. S’ensuit alors un combat au fleuret où la frustration se conjugue à cette volonté de séduire celui qui vous échappe jusqu’à l’assaut final qui mettra à mal toute la trame illusoire patiemment bâtie au fil d’une correspondance enfiévrée.

    Joseph Incardona, Emilie Boré, Sabine Dormond et Laure Mi Hyun Croset seront présents ce dimanche à Morges pour Le Livre Sur les Quais.

     

     

    Joseph Incardona : Les Poings. BSN Press/Collection Uppercut 2017.

    Emilie Boré et Daniel Abimi : Bora Bora Dream. BSN Press/Collection Uppercut 2017.

    Sabine Dormond : Les Parricides. BSN Press/Collection Uppercut 2017.

    Philippe Lafitte : Eaux Troubles. BSN Press/Collection Uppercut 2017.

    Laure Mi Hyun Croset : S’escrimer A L’aimer. BSN Press/Collection Uppercut 2017.

    A lire en écoutant : Raisonne d’Aston Villa. Album : Raisonne. 1996 BMG France.

     

     

  • Le polar suisse n'existe pas.

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.45.10.pngChroniques du noir

    Chronique publiée pour le journal littéraire Le Persil, numéro spécial polar romand.

     

    Flic, amateur de polars. C’est ainsi que l’on me désigne lorsque l’on évoque les chroniques du noir que je rédige, depuis plus de cinq ans, pour un blog dont la thématique est dévolue aux romans noirs et aux polars. J’ignore si cette formulation est empreinte d’une certaine condescendance, d’une forme de mépris ou si elle ne sert qu’à déterminer tout simplement, de manière factuelle, ce que je suis, à savoir policier depuis 26 ans et passionné du genre littéraire depuis toujours. Au regard de mon métier et de mon intérêt pour ce type de romans, on me demande fréquemment si j’ai embrassé la carrière de policier en fonction des polars que j’ai lus ou si l’un d’entre eux aurait pu influencer mon orientation professionnelle. Je dois avouer que la corrélation entre ces deux activités est extrêmement tenue et, pour être tout à fait clair, je ne suis pas devenu policier parce que je lisais ce type de romans, tout comme je ne me suis pas intéressé aux polars par rapport au choix de mon métier. Finalement, si j’aime le noir, ce n’est pas pour prolonger une quelconque succession de sensations que la profession me prodigue quotidiennement, mais parce qu’il autopsie plus qu’aucune autre littérature ne saurait le faire toute l’abondance des malaises d’une société au travers de l’histoire ou plus précisément du roman d’un crime.

     

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.49.15.pngC’est très souvent par le biais du genre littéraire noir que l’auteur s’emploie à décortiquer un modèle social pour mettre en exergue les carences, les non-dits et les fragilités d’un milieu ou d’un environnement bouleversé par le fait divers qui s’incarne dans le sursaut de fureur, de révolte ou de désespoir d’un individu ou d’un groupe transgressant des normes et des valeurs dans lesquels ils ne se reconnaissent plus. En cela, de nombreux textes émanant du roman noir prennent une forme de revendication lorsqu’ils évoquent par exemple la fermeture d’une usine dans Aux Animaux la Guerre (Actes Sud, 2016) de Nicolas Mathieu ou la pollution d’une friche industrielle dans Le Dernier Jour d’un Homme (Rivages, 2010) de Pascal Dessaint, quand ce n’est pas le modèle suédois dans son entier qui est examiné sous toutes ses coutures par Maj Sjöwall et Per Walhöö où le couple d’auteurs met en scène les enquêtes du commissaire Martin Beck dans l’édition intégrale du Roman d’un crime en dix volumes (Rivages 2008-2010).

     

    Particulièrement en Suisse romande, l’origine d’un blog consacré au noir réside dans la volonté de partager ces lectures, des romans moins formatés, dont les médias traditionnels ne parlent que très peu et qui peinent parfois à trouver leur place sur les étals des librairies. Car contrairement à ce que l’on prétend, le lecteur ne trouve pas forcément le livre qu’il souhaite. Dans sa quête, il doit tout d’abord franchir les murailles du même roman ornant les entrées des chaînes de librairie, contourner les ouvrages en tête de gondoles campés devant les tables de présentoir et faire fi du matraquage médiatique consacré aux mêmes auteurs de best-sellers. Une orientation forcée que l’on retrouve également dans le paysage numérique du livre. Au fil des années, force est de constater qu’un blog dédié aux romans noirs et aux polars, loin de compléter l’offre journalistique, devient un substitut à une déficience et un silence médiatique assourdissant, particulièrement en ce qui concerne un genre qui reste, aujourd’hui encore, bien trop décrié. Et ce ne sont pas les romans calibrés pour le plus grand nombre qui vont contribuer à réhabiliter le noir aux yeux d’une intelligentsia intellectuelle qui affiche à la fois sa méconnaissance et son mépris pour ce type de littérature.

     

    La constitution d’un blog chroniquant romans noirs et intrigues policières m’a permis de découvrir tout un monde de l’édition que je ne connaissais que très peu et de côtoyer d’autres blogueurs amateurs du genre policier à l’instar de sites comme Encore du Noir, Le Vent Sombre ou Le Blog du Polar de Velda qui mettent en évidence la diversité des très nombreuses parutions qu’ils valorisent dans la rigueur d’articles de qualité. Car, pour se démarquer de la kyrielle de blogs littéraires, il est indispensable de s’imposer quelques principes éditoriaux permettant de susciter un certain intérêt auprès des lecteurs en quête de découvertes. C’est ainsi qu’au-delà de leurs démarches littéraires, je me distancie des auteurs, ne cherchant pas à compiler ou à collectionner autographes et autres selfies que je pourrais récolter dans les salons et festivals que je ne fréquente d’ailleurs que très rarement. Il en va de même pour les maisons d’édition qui me sollicitent pour effectuer du service presse, démarche que je refuse régulièrement, estimant que pour promouvoir le livre, il m’apparaît comme essentiel d’en faire l’acquisition avec ses propres deniers, bénéficiant ainsi d’une certaine indépendance critique et d’une absence de contrainte dans le choix de mes lectures. Fort de cette autonomie, je ne cherche finalement ni à plaire ni à déplaire à l’ensemble des acteurs composant le paysage littéraire du polar et du roman noir car, aussi positif ou négatif qu’il soit, il importe de développer un argumentaire étayé pour rédiger une critique forcément empreinte d’une dose de subjectivité en rapport au lecteur que je suis, m’appropriant le livre au travers de mes propres perceptions. Il faut avouer que les déceptions restent plutôt anecdotiques, car l’expérience et la constellation de contacts constitués au cours de toutes ces années permettent de détecter plus aisément les ouvrages suscitant l’enthousiasme.

     

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.54.00.pngFestivals, salons du livre, numéros hors-série, depuis quelque temps, on assiste à l’émergence du noir à laquelle les grands noms de l’édition du polar ont contribué depuis tant d’années à l’instar de Rivages/Noir qui, aujourd’hui encore, reste l’une des références emblématiques du genre. David Peace, James Ellroy ou Hervé Le Corre sont les quelques auteurs qui conjuguent qualités narratives avec un style éprouvé qui a marqué et marquera encore toute une génération de lecteurs. Dans un registre plus confidentiel, on appréciera la ligne éditoriale de la maison d’édition Gallmeister qui s’oriente vers les auteurs nord-américains comme Lance Weller avec Wilderness (2013), Benjamin Whitmer avec Pike (2015) et la redécouverte de toute l’œuvre de James Crumley dont la nouvelle traduction de Fausse Piste (2016) illustrée par Chabouté. Nombreux sont ces auteurs américains qui ont d’ailleurs dépassé la catégorisation des codes et des genres littéraires. Toujours plus confidentiels, il faut saluer des maisons d’édition comme La Manufacture de Livres et sa collection « Territori », permettant de mettre en évidence quelques perles noires comme Clouer l’Ouest (2014) de Séverine Chevalier, qui restera l’un des tout grand roman noir qu’il m’ait été donné de lire. On pourra citer également les éditions Asphalte contribuant à promouvoir des auteurs hispaniques tels que Carlos Zanon avec J’ai été Johnny Thunders (2016) ou Boris Quercia mettant en scène l’inspecteur Quiñones dans Les Rues de Santiago (2014) et Tant de Chiens (2015). Et il ne s’agit là que d’un petit florilège d’auteurs bousculant les idées reçues d’un genre qui n’a plus rien à prouver.

     

    Le polar suisse, par contre, n’existe pas. Il s’inscrit malheureusement dans une dimension régionale dont les rares exceptions comme Martin Suter, Sunil Man et quelques autres ne font que confirmer ce triste constat. Dans un contexte de marché, on oppose le krimi alémanique au polar romand en arguant le fait qu’il ne s’agit pas du même public, renonçant ainsi, au sein d’une nation multilingue, à faire les frais d’une traduction. Un manque d’audace et d’ambition que l’on retrouve d’ailleurs dans la méconnaissance crasse du milieu littéraire romand en ce qui concerne le noir. Ainsi l’émergence du polar en suisse romande s’inscrit-elle dans le sillage des modèles de best-seller à l’exemple de Vargas, Läckberg et Musso, qui deviennent les références des écrivains romands se lançant parfois maladroitement dans le genre noir. Certes, on peut écrire un roman noir ou un polar sans en avoir lu, cela reste même préférable plutôt que de succomber aux influences des auteurs les plus visibles et de s’égarer dans la sempiternelle course au succès qui s’incarne avec l’affichage sur les réseaux sociaux du nombre d’exemplaires vendus ou de son classement dans les grandes chaînes de librairies. Plaire au plus grand nombre, parfois au détriment de l’histoire, semble être le credo de ces écrivains en quête de consécration.

     

    En dépit de ce tableau funeste, il faudra s’intéresser aux nombreux acteurs participant à cette émergence du polar suisse romand qui parviennent à mettre en avant toutes les qualités narratives d’un genre en pleine effervescence auquel le collectif Léman Noir (2012), mené par Marius Daniel Popescu, a largement contribué avec ce recueil de nouvelles noires édité par BSN Press, maison dirigée par Giuseppe Merrone. Ce passionné du polar propose régulièrement des textes d’auteurs consacrés du noir, Jean Chauma ou Joseph Incardona, mais également de belles découvertes : Le Parc (2015) d’Olivier Chapuis, par exemple, est un véritable travail d’orfèvre made in Switzerland.

     

    Il faudra examiner la belle collection de polars originaux, rassemblés au sein des Furieux Sauvages, maison d’édition créée par Valérie Solano, qui s’ingénie à mettre en exergue une autre Suisse que celle que l’on dépeint habituellement. Il faudra également s’attarder sur l’œuvre de Daniel Abimi mettant en scène les pérégrinations du journaliste Michel Rod et de son comparse l’inspecteur Mariani, dont les enquêtes sont parues chez Bernard Campiche, et qui incarne idéalement l’esprit du roman noir troublant la douce quiétude qui prévaut sur les rivages du lac Léman.

     

    Du noir, encore et toujours du noir, que ce soit par le biais d’un blog ou d’un autre support, vous découvrirez un autre pan fascinant de la littérature où auteurs et éditeurs romands s’inscrivent de manière magistrale dans l’autopsie d’une nation dont la noirceur ne cessera pas d’éclabousser les pages des nombreux romans à venir.

     

    LAUSAN'NOIR FESTIVAL DU POLAR : 18 & 19 NOVEMBRE.
    ESPACE ARLAUD
    Place de la Riponne 2 bis - 1005 Lausanne

    A lire en écoutant : Birdland de Patti Smith. Album : Horse. Arisa Records 1975

    Crédit photos : Isabelle Falconnier/Le Persil

     

  • OLIVIER CHAPUIS : LE PARC. LE PRIX DU SANG.

    bsn press,giuseppe merrone,olivier chapuis,le parMême si je ne suis pas un aficionado des rencontres avec auteurs et éditeurs en tout genre, même si je ne fréquente que très rarement les salons et autres festivals du livre, il est immanquable, au fil des années, de faire quelques agréables rencontres dans le monde littéraire à l’instar de Giuseppe Merrone, directeur de la maison d’éditions BSN Press, dont la connaissance en matière de romans noirs et policiers semble incommensurable. C’est peu dire que j’apprécie la sensibilité du personnage qui possède cette particularité, désormais presque exceptionnelle, de travailler avec les auteurs sur les textes qu’il publie au sein de cette belle maison d’édition. Alors bien sûr on pourra arguer le fait que la présente chronique est teintée d’un certain parti pris, ceci d’autant plus que l’on peut qualifier Le Parc d’Olivier Chapuis de parfaite illustration de ce que peut être un excellent roman noir helvétique.

     

    Tout est si calme du côté de Lausanne. La quiétude de la neige recouvrant doucement l’étendue morose d’un parc figé par la froidure hivernale. Un homme étendu sur le côté, sa main encore accrochée à la serviette en cuir. Le sang qui se répand lentement sous sa tête. Un photographe saisissant silencieusement la scène du crime. L’art et le sang peuvent-ils avoir un prix ? « Si l’art ne possède pas le pouvoir de conjurer la mort, il peut cependant la magnifier. » Mais que s’est-il vraiment passé du côté du parc Mon-Repos ?

     

    Lorsqu’ils sont de qualité, on dit souvent des romans très courts qu’ils génèrent un sentiment de frustration ce qui n’est pas le cas avec cet excellent texte d’Olivier Chapuis. En effet, Le Parc bénéficie d’un bel équilibre pour ce roman choral où l’auteur examine les points de vues des différents acteurs ayant pris part à ce fait divers sans pour autant s’appesantir sur une myriade de détails inutiles. Ici on va à l’essentiel et en quelques phrases bien senties, l’auteur parvient à dresser un portrait et surtout à capter une ambiance dans ce quotidien lausannois presque banal et ennuyeux. Mais le crime survient et alimente tout le récit en générant son lot de suspense avec une belle poursuite palpitante fourvoyant rapidement le lecteur qui ne peut se dépêtrer de certains à priori. Pourtant les apparences sont trompeuses et la résultante de l’intrigue s’avère des plus surprenantes. C’est la force de ce roman où Olivier Chapuis parvient à manipuler le lecteur et à le conduire là où il le souhaite en jouant avec la temporalité des multiples points de vue des personnages dont les noms titrent les différents chapitres.

     

    Le portrait de la victime est particulièrement poignant. Ce quotidien ordinaire d’une vie bien rangée « agrémenté » de son lot de petites trahisons familiales et de regrets que le fait divers balaiera définitivement. Mais tout se détraque déjà légèrement avec ce rendez-vous reporté et cette rencontre surprenante dans une ancienne orangerie où officie un artiste peintre orientant ainsi toute une partie du récit vers une autre thématique où l’auteur nous interroge subtilement sur la définition de l’art et sur son prix. C’est finalement dans la réunion du fait divers et de l’art qu’Olivier Chapuis donnera une réponse teintée d’une certaine ironie morbide. Car le quotidien devient soudainement extraordinaire, le sang prend désormais une valeur artistique et l’art magnifie le crime tout en le rendant immortel.

     

    Court et percutant, Le Parc d’Olivier Chapuis est un roman incisif dont le souffle mortel de cette balle perdue n’a pas encore fini de vous faire frémir. De la belle ouvrage comme on l’aime.

     

    Olivier Chapuis : Le Parc. Editions BSN Press 2015.

    A lire en écoutant : The Other Side of Town de Curtis Mayfield. Album : Soul Masters : Get Down. Warner Strategic Marketing 2004.